Il arrive parfois, doucement, sans égards, que la neutralité se pose là dans une vie. Le tumulte bouillonnant des instincts, la survie, le dépassement, la colère, l'amertume, l'incrédulité, la tristesse laisse place à une fausse paix, qui, de prime abord, nous apaise. On se sent soudain conquis par cette stérilité soudaine, pour, enfin, cesser un peu de souffrir. L'anesthésie du coeur nous séduit, ça y est, on est là, seul face à soi, avec devant nous une route inconnue à deviner. Avant de se lancer, on se prend le temps, le temps de respirer, d'anticiper, de fantasmer aussi, imaginer ce que cette foutue terre vierge va bien pouvoir nous offrir.
Soupir, respiration, arrêt sur image, cela ne doit durer qu'un infime instant, avant le compte à rebours, avant que les vraies sensations de vie se réinventent en nous. Néanmoins elle s'installe, prend ses aises, transparente, elle se love en nous, nous apprivoise, petit à petit, veine après veine, organe après organe, membre après membre. Elle nous engourdit l'esprit, nous enveloppe le coeur, mon coeur à moi, fidèle résistante aux tiédeurs de la vie.
Jusque là j'ai tenu, tenu, et même si parfois, le roucoulement soporifique de nos quotidiens nous aveugle, j'ai su, tout au fond, garder en moi l'originel de ce qui m'anime. Dans mes rêves, mon enfant, mes joies simples, mes égarements, mes actes manqués, dans les autres, ceux que j'aime, ceux que jamais je n'oublierai.
Pourtant, maintenant, ce soir, je sens ce poids, le poids du Neutre, le fardeau du Rien. Mon estomac se noue, vite une cigarette, je tremble, j'ai peur. Et si tout restait figé, et si plus rien n'arrivait, et si toutes mes désillusions m'avaient définitivement transformée ? Non je conteste, Non je n'en veux pas, je veux croire, je veux sentir, je veux imaginer et puis voir en sachant encore regarder. Alors je lutte, à nouveau j'entre en résistance, pour ne pas me perdre, pour ne pas somnoler, pour ne pas me réchauffer aux tiédeurs confortables de la Neutralité.